Le plaisir, allié ou ennemi d’une alimentation favorable à la santé ?
Il s’agit de la thématique d’une conférence que j’ai organisé pour l’Institut Danone dans le cadre des Journée Francophones de Nutrition en 2017. C’est à cette occasion que j’ai découvert les travaux de Pierre Chandon, directeur du centre multidisciplinaire des sciences comportementales à Sorbonne Université – INSEAD.
Son approche très différence de celle des recherches en nutrition classique montre que nous focalisons trop notre attention sur la qualité nutritionnelle de notre alimentation. Et nous négligeons un aspect fondamental qui est la quantité. Or, valoriser la qualité nutritionnelle d’un aliment peut avoir des effets pervers.
Ainsi, Pierre Chandon a montré dans une étude (1) que si on propose des dragées chocolatées allégées à des volontaires, ils vont avoir tendance à en consommer davantage (46% de plus) que des dragées classiques. Alors qu’ils imaginent consommer à peu près le même nombre de calories.
Si on réfléchit bien, il est beaucoup plus facile de décider de ce que l’on souhaite manger, un morceau de gâteau ou de fromage, que de la taille du morceau.
La portion de soda est passée de 19 cL (moins d’1/4 de litre et 81 Kcal) dans les années 1960 à des portions pouvant aller jusqu’à 50 cL (1/2 litre et 215 Kcal) en France, voire 190 cL (817 Kcal) soit presque 2 litres aux États-Unis !Or nous avons tendance, la plupart du temps, de choisir une portion moyenne. En France, elle va être de 40 cL et apporte 172 Kcal. Mais aux US, elle va être plus proche du litre alors qu’il a 50 ans, la portion était de moins d’1/4 de litre.
C’est la petite portion qui construit notre référentiel. Plus cette petite portion augmente, plus la portion moyenne augmente et notre consommation en même temps. Sans pour autant que nos besoins aient évolués.
Ainsi nous perdons la notion de portion « normale » et la capacité de choisir une portion qui nous est adaptée.
Même si nous l’avons expérimenté de nombreuses fois, nous oublions que le plaisir alimentaire est maximal à la première bouchée. Les suivantes apporteront de moins en moins de plaisir. Quant à la dernière bouchée, elle peut paraître carrément écœurante si la portion est trop grande par rapport à notre faim. C’est ce que l’on appelle, le rassasiement sensoriel spécifique. A la fin d’un plat, le plaisir qui nous restera de la dégustation sera égal à la moyenne des plaisirs ressentis à chaque bouchée, et non à leur somme ! (2).
Ainsi, la taille des portions n’augmente pas le plaisir, mais peut au contraire le diminuer.
Pour étudier le rôle du plaisir dans le choix des portions, une expérience a été réalisée chez des enfants de classes primaires en utilisant des techniques de stimulation avec de l’imagerie sensorielle (3). Un groupe d’enfants a visualisé des images d’aliments plaisants pour eux (gâteaux, desserts, bonbons, etc.). Puis on leur a demandé de décrire les sensations que cela évoquait pour eux en termes de visuel, goût, odeur et texture. Un autre groupe d’enfants faisaient la même expérience avec des images agréables mais en dehors de l’alimentation (marcher dans des feuilles d’automne, jouer à l’extérieur, etc.). Ensuite chaque enfant devait choisir une portion de gâteau au chocolat parmi 3 tailles possibles.
Le groupe d’enfants qui avaient expérimenté une stimulation sensorielle alimentaire, a choisi, en moyenne, une portion 7% plus petite (- 22 Kcal) que les enfants de l’autre groupe. Le même test a été fait avec des compotes et il n’y a pas de différence dans le choix des 3 portions de compote.
Cette fois-ci, 3 groupes d’adultes (4) ont été soumis au même type de stimulation sensorielle :
Ensuite, comme pour les enfants, les volontaires devaient choisir une portion de gâteau au chocolat parmi 5 tailles différentes. Ils devaient aussi dire quelle portion étaient supposée leur apporter le plus de plaisir. L’objectif étant d’étudier si certains des participants se restreignaient volontairement en prenant une portion plus petite que celle qui leur faisait vraiment envie. Les portions de gâteaux étaient numérotées de 1 à 5 de la plus petite à la plus grande.
Ainsi, comme chez les enfants, l’anticipation du plaisir de la dégustation, permet de choisir une portion plus petite en étant satisfait de ce choix. Or la frustration peut engendrer une surconsommation de compensation lors des repas suivants.
Pierre Chandon et Yann Cornil ont testé une nouvelle approche plus facile à mettre en place dans la vie réelle. Cette fois-ci l’expérience se passe dans un restaurant d’entreprise (5) où 3 groupes de clients réels disposaient de menus rédigés différemment pour les mêmes plats proposés :
Si le repas le moins calorique a été pris dans le cadre du groupe nutrition (31% de Kcal en moins par rapport au groupe contrôle), c’est avec la satisfaction la plus basse (4,2/7). Le groupe sensoriel a aussi réduit sa consommation avec 17% de Kcal en moins par rapport au groupe contrôle, mais cette fois-ci avec la satisfaction la plus élevée (4,8/7).
La durée du repas et la valeur perçue du repas était aussi plus élevée dans le groupe sensoriel.
Ainsi, de plus en plus de données montrent que le plaisir et la convivialité peuvent être de formidables leviers. Pourquoi les utilisent-on aussi peu ?
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Vous pouvez retrouver la synthèse de ces recherches dans la revue de l'Institut Danone dont j’ai coordonné ce numéro : https://institutdanone.org/objectif-alimentation/objectif-alimentation-5-juin-2020/
Ainsi que le replay de la présentation de Pierre Chandon lors de l’atelier de l’Institut Danone aux Journées Francophones de Nutrition : https://youtu.be/ukAZqNqd-HE
Vous pouvez aussi retrouver tous les travaux de Pierre Chandon sur son site personnel : https://www.insead.edu/faculty-research/faculty/pierre-chandon/personal-site