Pour faire évoluer les comportements, il est beaucoup plus efficace d’évoquer la forme que la santé.
C’est ce que montre cette enquête chez de nouveaux retraités depuis moins d’un an. J’ai participé à cette étude conduite par Amandine Rochedy (sociologue à l’ISTHIA, université de Toulouse Jean Jaurès) avec Jean-Louis Lambert (économiste et sociologue, professeur émérite à ONIRIS, Nantes). Nous l’avons publiée dans les Cahiers de Nutrition et de Diététique.
Dans cette enquête, nous avons observé que ce qui motive les nouveaux retraités, c’est la perspective de faire ce qu’ils ont envie sans contrainte. Les objectifs sont très variables en fonction des individus bien sûr, mais aussi du sexe et des classes sociales.
La forme est un critère tangible, vérifiable immédiatement. La santé est au contraire abstraite, d’autant plus si les personnes ne présentent pas de maladie. La santé est vécue par ces retraités comme un critère « en creux » lié à l’absence de maladie. Ce n’est pas un critère positif. Ce qui est positif, c’est la forme. Dans cette enquête la santé est uniquement évoquée comme un capital à entretenir voire améliorer pour optimiser sa forme.
Dans ce contexte, l’entretien de la forme est important puisqu’il va permettre de mener à bien toutes les activités projetées par ces nouveaux retraités. Et pour cela, ils sont tous prêts à faire évoluer leur mode de vie. Mais le premier levier dont ils nous parlent est l’activité physique. Pas l’alimentation, malgré la pression sociale qui est très importante sur ce sujet. Ils sont unanimes pour juger leur activité physique insuffisante. Côté alimentation, ils nous ont très peu parlé de nutrition, mais beaucoup de partage et de convivialité.
Cependant, les retraités de notre enquête réinvestissent aussi leur cuisine. Le passage à la retraite reconfigure le domaine alimentaire au sens large. La convivialité, « manger ensemble » devient une activité valorisée que ce soit avec le conjoint, les enfants, petits-enfants ou encore les amis. Ils retrouvent du plaisir dans le fait de recevoir. Alors qu’auparavant, ils limitaient ces temps sociaux alimentaires, car « trop fatiguant » ou demandant une logistique trop importante.
Le plaisir retrouver ou découvert de la cuisine reconfigure les rôles domestiques. En effet, cet investissement dans la cuisine s'opère de façon différente entre les hommes et les femmes. Quand les hommes sont à la retraite avant leur compagne, ils prennent le contrôle de la cuisine, mais en partie seulement pour certains. Ils peuvent préparer un plat du repas ou seulement les repas durant la semaine. Mais, ils passent aussi du temps dans des tâches annexes comme faire les courses, mettre la table, nettoyer la vaisselle… Des tâches qui leur prennent du temps par « manque d’habitude » nous ont confié certains d’entre eux.
« Ah oui, maintenant je cuisine plus. Pour moi, c’est un plaisir. J’aime bien faire cela et cela ne me dérange pas du tout. C’est vrai que maintenant que je suis là, c’est souvent moi et j’y passe du temps. Et quand elle [sa femme] est là, les week-ends, c’est elle qui reprend la main. C’est vraiment différent depuis que je ne travaille plus. »
Quand c’est la femme qui prend sa retraite la première, les tâchent domestiques se renégocient. L’approvisionnement et mettre la table peuvent être des tâches que les hommes réalisent. Par contre, la préparation alimentaire revient majoritairement aux femmes qui valorisent la cuisine au jour le jour. Plus largement, les femmes s’investissent dans les tâches domestiques alimentaires auprès de la famille élargie. C'est à dire, auprès de leurs ascendants (approvisionnement ou préparation de plats pour leurs parents) et leurs descendants (préparation de plats pour leurs enfants ou petits-enfants, mais aussi source de conseils, etc.). Les femmes nouvellement à la retraite deviennent le pivot de l’alimentation familiale. Elles peuvent être garantes de la santé sur 4 générations (parents, conjoints, enfants et petit-enfants).
Ce qui nous a beaucoup surpris dans cette étude, c’est la mise en avant de l’activité physique et non pas de l’alimentation pour entretenir la forme. Alors que la pression sociale fait beaucoup plus référence à l’alimentation. En effet, les politiques publiques, le discours médical, mais aussi les médias mettent beaucoup plus l’accent sur l’alimentation que sur l’activité physique.
Par exemple, sur les 24 objectifs du Plan National Nutrition Santé du gouvernement français, seulement 3 concernent l’activité physique et 4 associent activité physique et alimentation.
Mais les changements alimentaires engendrent peu de bénéfices immédiats perceptibles sur la santé ou la forme. Pour modifier un ou des comportements et tenir dans la durée, il faut que le changement apporte rapidement un bénéfice concret. Or, dès que l’on fait un peu plus d’activité physique, les bénéfices sont rapides et multiples, aussi bien sur la forme, la qualité du sommeil que l’humeur et l’estime de soi. Ce qui n'est pas le cas de l'alimentation.
C'est une sorte de contresens de faire référence à la santé en prévention. Les personnes en bonne santé disent qu’elles « vont bien », qu’elles sont en forme, elles n'utilisent jamais les termes « en bonne santé ». Dans la vie courante, quand nous faisons référence à la santé cela sous-entend que la maladie est en arrière-plan d’une manière ou d’une autre. Ainsi, citer la santé pour inciter des personnes bien portantes à modifier leur mode de vie, c’est risquer de passer à côté de ce qui va les motiver vraiment.
Et si on parlait d’abord de bien-être et de plaisir dans l’activité physique et la cuisine pour améliorer, à terme, notre santé et notre mode de vie global ?
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